SPECTACLE
Du Grain à Moudre Lionel Chiuch
Le constat, c’est qu’il se passe toujours quelque chose. Et il y a trois décennies que ça dure. Trente ans pendant lesquels on n’a pas cessé de regarder dans cette direction, celle du SAT, même si parfois il s’agissait d’un regard en biais. On savait que, de toutes façons, l’essentiel se jouait hors de nos vues, moins par pudeur que par nécessité. L’essentiel, c’est-à-dire des comédiennes et des comédiens, êtres de chair complexes, qui s’offrent le luxe d’aller dans l’au-delà des mots, là où ça s’agite, où ça cogne parfois.
Ce luxe là n’est pas celui qu’apporte l’argent : il n’y en a jamais eu, ou si peu. Non, c’est celui du théâtre saisi comme une aubaine, un corps à étreindre quand tout se dérobe, une histoire qui compile l’amour, la haine et les maladies contingentes. Et ce corps, noueux et impétueux, Gabriel Alvarez et la compagnie qu’il dirige n’ont cessé d’en stimuler la part sacrée, la plus irréductible. A la fin, bien sûr, il y a la représentation, cette eucharistie qui ne solde en rien les comptes déjà anciens du théâtre et de son double.
Le Studio d’Action Théâtrale ne fait pas de la recherche : il EST une recherche. Il l’est au sens où il intègre tout ce qui constitue la théâtralité de manière quasi organique. Il l’est également parce que son déploiement ne se situe pas dans un processus de travail mais qu’il élargit ce processus jusqu’à lui donner les dimension d’une cosmogonie singulière.
Le SAT, depuis toujours, est créateur de légendes. Les mythes s’y consolent d’être chassés de nos rondes technologiques. La langue, celle de Jarry, de Müller ou de Novarina, y ponctuent ses volutes de gestes indociles. Au règne des bénis oui-oui et du conformisme artistique, le SAT oppose l’aristocratie de sa quête qui est intègre mais n’a rien d’intégriste.
Avec Gabriel Alvarez, il y a toujours un monde à refaire, un rocher de Sisyphe à déplacer, un théâtre des opérations à réinvestir. Et de la matière, toujours, parce que sinon ce n’est pas la peine : de la viande, des tissus, des os, une gouache épaisse qui a ses accointances avec la poésie.
Ce n’est sans doute pas un hasard si le SAT est né dans un vieux grenier désaffecté, du côté de Berne. Rien d’étonnant qu’il ait germé là, soucieux du pain à offrir et des faims à combler. Toujours cette image de la nourriture que l’on partage, en témoignage d’une authentique fraternité. Voilà, c’est ça, le SAT : un grand frère dont chaque apparition nous est précieuse.
Parce qu’elle nous nourrit, bien sûr, mais aussi parce qu’elle affirme la dimension à la fois humaine et sacrée du théâtre.
Lionel Chiuch entre à La Tribune de Genève en 1994 où il travaille successivement à la culture, la région et l’international.
De septembre 2007 à juillet 2012 il est responsable adjoint au chef de la rubrique culturelle. Il y est notamment en charge du théâtre et des pages livres. En parallèle à ses activités professionnelles, il rédige des textes pour divers artistes dans les domaines de la photo (Jan Saudek en 1995) et de la peinture (Béatrice Mazzuri, Martin Engler, etc.). Il adapte pour le théâtre de La Nuit est le manteau des pauvres, de Claude Roy, monté par Emmanuel Gripon au Théâtre du Galpon à Genève. En 1999, il crée le spectacle Pétasses! qui fera l’objet d’une tournée dans toute la Suisse. En 2009 il écrit Contes urbains de mon village d’après des témoignages de familles immigrées (Festival Rencontres improbables, Bayonne). C’est
en tant que dramaturge qu’il collabore à Andromaque 10-42, avec Denis Lavant (m-e-s Kristian Frédric, 2012). En 2016, il signe et met en scène, en collaboration avec Frédéric Polier, le spectacle Présentation de saison. Depuis Juillet 2012 il est adjoint à la direction du Théâtre du Grütli à Genève.
