Jocaste de Michèle Fabien /
La Passion selon Jocaste GENÈVE @ Au Théâtre de la Parfumerie, Gabriel Alvarez, directeur du Théâtre du Galpon, exhume le «Jocaste» dense et sensuel de l'auteure belge Michèle Fabien.
Alors que le personnage d'Œdipe a alimenté des milliers de discours et d'écrits, la figure de Jocaste est à peine identifiée. Hasard du calendrier, la femme et mère du roi de Thèbes est actuellement au cœur de deux créations de Suisse romande: celle de Gisèle SaHin, basée sur un texte de Nancy Huston spécialement écrit pour la metteuse en scène fribourgeoise; et celle de Gabriel Alvarez, qui exhume un texte de 1981 de Michèle Fabien. Décédée en 1999, l'auteure belge avait créé en 1974 à Bruxelles l'Ensemble Théâtre Mobile avec Louis Louvet et Marc Liebens. A voir jusqu'au 15 novembre à Genève.
Plus de vingt ans séparent ces écritures qui donnent la parole à Jocaste, muette depuis 2000 ans. «Je ne sais pas comment elle a péri, car Œdipe s'est précipité en hurlant, alors, ce n'est plus elle, mais lui qui a captivé nos regards», dit l'auteure belge, mais Nancy Huston pourrait l'avoir écrit.
Toutes deux, Nancy Huston et Michèle Fabien prêtent à leur personnage un amour de la vie, un désir puissant et une dignité face à l'horreur de l'inceste vécu, au contraire d'Œdipe terrassé de savoir qu'il a épousé sa mère avec qui il eut quatre enfants. Mais là où la première s'arme de raison et d'amour vécu - qu'elle oppose à l'anathème de l'oracle -, la seconde montre sans pudeur le déchirement et la passion d'une femme pour qui la peste rongeant Thèbes est bien une punition - et le reflet insoutenable de l'inceste vécu intimement.
la « Jocaste» montée par Gabriel Alvarez est basée sur la profération du texte, un choix esthétique cher au metteur en scène du Galpon et au Studio d'Action théâtrale qui monte régulièrement des auteurs contemporains travaillant sur le matériau du langage théâtral: Heiner Müller, par exemple, ou Valère Novarina, montés récemment au Théâtre du Grütli et à feu Artamis, où se trouvait le Théâtre du Galpon.
Dans cette approche, la parole n'est pas l'émanation d'un personnage, elle est la profération d'une comédienne, femme-texte que dit bien la scène finale. Clara Brancorsini mêle ainsi les voix de l'amante, de 1'épouse, de la mère à la Parfumerie, qui accueille la pièce pour cette année de transition sans domicile fixe, Il faut imaginer une chambre, écho à l'histoire intime de Jocaste, créée par la belle scénographie de Délia Higginson. Plus que les mots précis de Michèle Fabîen, c'est le reflets de céder à l'horreur, la dignité d'une Jocaste farouche et vulnérable que Clara Brancorsini transmet avec élégance. Mais est-ce la proximité du public avec la comédienne? Ou le rythme, soutenu, du récit'? Il semble que le champ manque, spatial ou rythmique, où déployer cette parole que Gabriel Alvarez a voulu centrale.
DOMINIQUE HARTMANN / LE COURRIER