STUDIO D’ACTION THÉÂTRALE

La comète de Halley de Nathalie Tacchella

Le Studio d’Action Théâtrale célèbre trente ans d’existence. Ainsi donc, en 1986 passait dans notre ciel la comète de Halley et, dans un grenier désaffecté, se constituait un groupe d’artistes déterminés à vivre leur métier au quotidien.
Cette double perspective du « micro » et du « macro » me semble fondatrice du SAT. Il y a le travail avec les actrices et les acteurs : un travail porté sur l’individu, son histoire personnelle, la mémoire qu’il en garde et ce qu’il peut et veut partager dans l’acte de création. Et il y a une dimension plus large, présente dans les textes empoignés en création. Des textes phares de l’écriture théâtrale européenne, mais toujours envisagés dans une dimension plus vaste que celle d’un seul continent. Il y a cette question qui se décline dans les créations du SAT : quelle relation entre le corps de l’individu et le corps social ? Comment l’individu construit-il ou maintient-il son pouvoir d’action dans un contexte social qu’il contribue à faire évoluer ou qu’il subit ?
Ces questions nourrissent les créations théâtrales du SAT, et habitent Gabriel Alvarez, noyau de la compagnie. Généreux et infatigable, il partage avec les protagonistes de chacun des projets sa vision critique des modes de production artistique. Proposant et dirigeant des ateliers, transmettant sa passion avec celles et ceux qui sont prêts à plonger dans la recherche de son propre personnage, il s’appuie sur son expérience et son cheminement qui l’ont amené à transposer sa pensée dans un langage théâtral.

J’aime quand le Studio d’Action Théâtrale entre en création au Galpon.
Il y a d’abord les préliminaires. Gabriel Alvarez qui arpente les bois alentours, la ville et le net. Il cherche un arbre, des baignoires, des chaussures, d’autres textes que les textes et des chaises à 8 pieds. Il y a les rendez-vous avec celles et ceux que l’on côtoiera au quotidien dans quelques mois. Il y a l’arrivée de Bruno de Franceschi qui ne quitte le piano que pour préparer la pasta et nourrir tout le monde. Des longues disparitions au grenier pour rechercher une série de verres en cristal ou une collection de manteaux.
Des réapparitions pour transformer les tables du foyer, un passage à la morgue pour se renseigner sur les sacs mortuaires, à la démolition car il manque une carcasse de voiture ou des pneus de camion.
Et un matin arrive une petite cohorte d’acteurs et d’actrices qui vont séjourner plusieurs semaines au Galpon pour continuer ce travail de création. Ils investissent chaque recoin, susurrent, hurlent, tapent du pied, chantent et dansent, grimpent sur une chaise suspendue ou sautent dans un livre comme un linceul.

Gabriel Alvarez arpente de l’un à l’autre, continue de sculpter l’espace dans lequel va se déployer sa dramaturgie. Des énergies qui s’accumulent, se répondent, forment quelque chose qui n’existait pas l’instant d’avant. Un branle-bas de combat à géométrie variable.

Le SAT suscite des rencontres, produit du partage de savoirs et d’expériences. L’utopie des débuts – celle d’un travail de compagnonnage artistique sur la durée et de la façon la plus permanente possible – est toujours vive, même si le contexte artistique évolue vers des modes de production resserrés. Du grenier des débuts en passant par de longs voyages, c’est cette même utopie qui a créé le Galpon. Une volonté de créer un lieu qui soit à la fois un refuge hors des circuits dominants de production et à la fois ouvert à toutes les sensibilités.

Le SAT a trente ans. Le Galpon a vingt ans. Le prochain passage de la comète de Halley est prévu en 2061. Le SAT aura 75 ans, j’en aurai 100. Je suis impatiente de découvrir ce qu’il nous préparera ce jour-là.

Nathalie Tacchella est chorégraphe et pédagogue de danse.
La compagnie de l’estuaire qu’elle dirige développe des formes chorégraphiques qui se déclinent aussi bien dans les espaces scéniques que dans l’espace public pour traiter essentiellement de construction et déconstruction, d’équilibre, de solidarité entre les choses et entre les êtres. Avec les équipes artistiques, Nathalie Tacchella met en oeuvre sa réflexion sur les apports de l’art aux constructions sociales.
Depuis plus de 15 ans, elle tisse des liens entre création artistique, formation et citoyenneté.